L’analogie avec le jeu d’échec permet de comprendre les enseignants à Shanghai. Comme les joueurs d’échecs, ils s’investissent beaucoup dans la réflexion et la préparation de leurs cours pour réussir le « bon coup » aux examens. Cette attitude s’exprime dans un proverbe local « pour donner à l’élève un bol d’eau, l’enseignant aura besoin d’un seau d’eau » [yaogei xuesheng yibeishui, jiaoshi ziji yinggai you yitong shui]. Cela veut dire que l’enseignant ne doit pas être seulement familiarisé avec les ressources pédagogiques mais qu’il doit posséder une connaissance de ce qui est pertinent pour l’enseignement. Le terme d’enseignant, jiaoshi en chinois, signifie enseigner (jiao) et être « maître » ou « expert » (shi). Cela renvoie à la croyance culturelle que l’enseignant n’est pas un instructeur mais qu’il possède la maîtrise de son art. « Donner un bol d’eau » signifie plus que de donner des connaissances et former des compétences chez les élèves. On attend aussi de l’enseignant qu’il développe les émotions, les attitudes et les valeurs les plus désirables en utilisant les processus et les méthodes appropriées. Les parents d’élèves reconnaissent à une très forte majorité que les enseignants à Shanghai sont très désireux d’aider les élèves à résoudre leurs difficultés d’apprentissage. Beaucoup de ces enseignants n’hésitent pas à retourner dans l’établissement le dimanche pour apporter leur aide aux élèves en difficultés. S’ils sont payés pour ces heures de coaching, l’activité est considérée comme normale bien qu’elle soit interdite par les autorités locales. Mais ces pratiques passent « sous le radar » parce qu’elles permettent d’entraîner les élèves aux examens sélectifs avec la bénédiction des familles. Influencés par la conception confucéenne de la méritocratie, selon laquelle la perfection des êtres humains et leur plus haut niveau de réussite doit être atteint pour leur garantir l’accès aux meilleures positions sociales, beaucoup de chinois considèrent que leurs enfants doivent saisir la chance que leur offrent les études pour accéder à l’université et voir une vie heureuse et réussie, ce cela que vous soyez riche ou pauvre.
L’enseignement en Chine valorise, au-delà de la maîtrise des contenus, l’enseignant au centre de la classe et l’appui sur des textes. L’accent est mis sur la transmission des connaissances selon une perspective logique et systématique basée sur la maîtrise des contenus disciplinaires. Orientés par la vision des éducateurs soviétiques dans les années 1950, les contenus scolaires en Chine sont définis comme des disciplines scolaires qu’il faut transmettre aux élèves en des points cruciaux servant de fondation aux apprentissages. Chaque point doit faire l’objet d’un approfondissement dans la formation initiale des enseignants et l’enseignement doit suivre cinq étapes : réviser les anciennes notions, aborder les nouvelles, expliquer les nouvelles connaissances, les mettre en oeuvre et les consolider, et mettre en œuvre des devoirs. Cette exigence de maîtrise des contenus disciplinaires est particulièrement élevée comparée à d’autres pays. Les enseignants à Shanghai sont donc des experts en contenus scolaires qui passent beaucoup de temps à préparer et planifier leurs leçons (7,8 heures en moyenne par semaine) mais ils n’enseignent qu’en moyenne 9,8 heures par semaine (pour des périodes de 40 minutes.
Cet intérêt des enseignants sur les contenus scolaires a comme contrepartie la préparation au gaokao, l’examen très sélectif d’entrée à l’université, qui comprend des questions particulièrement difficiles pour les élèves. Leur capacité à répondre à des dizaines de milliers de questions constitue un enjeu comme l’exprime cette sentence chinoise « changer dix milliers de fois sans se départir de sa position originelle » [wanbian buli qizhong]. C’est une excellente analogie pour montrer que les techniques de préparation aux examens ressemblent au jeu d’échec. Le candidat doit, comme au jeu d’échec, se remémorer les différentes positions, c’est-à-dire les formules et les techniques de résolution de problèmes, pour devenir un expert. Il existe deux principales techniques de préparation aux examens. La première repose sur la mémorisation des concepts, formules, et points de connaissances transmis par l’enseignant, mais c’est une mémorisation avec compréhension, laquelle demande une grande flexibilité à l’élève. Les enseignants entraînent les élèves à penser « une question, beaucoup d’explications » pour assimiler les contenus de manière approfondie. La seconde technique est de familiariser les élèves à des méthodes de résolution de problèmes qu’ils pourront utiliser utilement le jour de l’examen, en étant familiarisés avec les questions et en y répondant le plus vite possible.
Source. Tan, C. (2012). Learning from Shanghai: Lessons on achieving educational success (Vol. 21). Springer Science & Business Media