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  • Photo du rédacteurRomuald Normand

Un entretien avec un chef d’établissement à Shanghai


Charlene Tan, a enquêté auprès de 14 établissements primaires et secondaires à Shanghai en 2011 en interrogeant des chefs d’établissement et des enseignants. Ici, elle rend compte d’un entretien avec un chef d’établissement qui dirige l’un des établissements secondaires les plus performants à Shanghai, en poste depuis 8 ans.

Le chef d’établissement : « Quand je suis arrivé dans cet établissement, j’ai fait quelques ajustements. Le premier était de développer la devise de l’établissement fondée sur les valeurs morales d’amour et d’intégrité. Pour qu’un établissement grandisse, nous avons besoin avant tout de développer une idéologie et de la guider. Le second ajustement est de cultiver l’esprit de l’établissement, particulièrement parmi les enseignant, pour les encourager à donner le mieux d’eux-mêmes dans le service. Je crois personnellement que les enseignants sont des fournisseurs de services, vous avez besoin d’exigences élevées pour servir, mais servir est une façon de vous dévouer corps et âme ». « En Chine, nous disons souvent : « Il n’y a pas d’élèves à qui on ne peut pas bien enseigner, il y a seulement des enseignants qui n’enseignent pas bien » [meiyou jiaobuhao de xuesheng, zhiyou jiaobuhao de laoshi]. Si bien que si vous avez un esprit enthousiaste, vous enseignerez bien ».

Charlene Tan : « Je suis sûre qu’il y a beaucoup de choses que vous avez à gérer comme chef d’établissement, particulièrement pour un gros établissement comme le vôtre »

Le chef d’établissement : « oui, mais je crois qu’un chef d’établissement a seulement besoin de se concentrer sur deux choses : la première concerne les classes, parce qu’un établissement de première classe doit avoir des classes de même niveau. Donc nous sommes concernés par la qualité de vie de nos élèves dans les classes. Ce n’est pas seulement de savoir si les résultats seront bons aujourd’hui ou demain. C’est le développement total des élèves pour qu’ils soient sains sur le plan émotionnel, mais aussi moral et qu’ils puissent faire face à la pression. Ensuite viennent les compétences, ce qui veut dire que les élèves doivent avoir de bonnes fondations, être capables d’apprendre différentes choses, et qu’ils puissent satisfaire aux demandes de la société, y compris les demandes concernant différentes façons d’apprendre ». « Pour réaliser ces deux objectifs, nous avons besoin d’une formation à l’échelle de l’établissement fondée sur la recherche [xioaben yanxiu], de nous centrer sur les standards professionnels des enseignants, parce que bien manager un établissement dépend aussi des enseignants. De même, les compétences des enseignants pour cultiver les élèves et les aider à grandir, dépendent d’abord de la formation donnée par l’établissement. La formation externe des enseignants par les universités et les districts est importante, mais je pense que la formation dans l’établissement fondé sur la recherche est plus important parce que nous avons ainsi ce dont les enseignants ont besoin »

Charlene Tan : « comment avez-vous fait alors pour conduire le changement que vous souhaitiez dans votre établissement ?

Le chef d’établissement : « Cet établissement, dans le processus de développement, a mis en œuvre quelques réformes. L’une des réformes est de réguler le système de management. Les temps ont changé et donc votre système de management doit changer tous les deux ou trois ans, sinon vous serez dépassé. En Chine, nous disons souvent « Mange depuis la grande marmite » [chi daguofan]. Cela veut dire que c’est la même chose si vous faites votre travail bien ou non, si vous le faites plus ou moins, chacun aura la même paye. Mais cette attitude ne tient plus dans la Chine d’aujourd’hui. Donc, avec notre système de répartition des moyens, nous avons entrepris des réformes massives et nous avons commencé à récompenser ceux qui avaient de bons résultats dans l’éducation, de bons résultats dans l’enseignement. Nous avons conduit des changements dans le système de salaires de l’établissement, le système d’évaluation, en donnant des récompenses financières. Maintenant nous avons un système « qui travaille mérite salaire » [youlao youchou]. Vous avez plus si vous faites plus. Je pense que c’est tout à fait nécessaire parce qu’au niveau du management, il y a une main invisible qui manage et dirige l’établissement ». ‘Je ne dis pas que « les êtres humains veulent mourir pour de l’argent et que les oiseaux veulent mourir pour de la nourriture » (proverbe chinois : renwei caisi, naiowei shiwang) mais les êtres humains doivent quand même se préoccuper de leur survie. Nous n’attendons pas que chacun pense atteindre le même niveau mais l’argent peut avoir certains effets. Donc, c’est une des réformes. Bien sûr il y a d’autres réformes, comme la régulation du système d’enseignement, etc. Mais je pense que cette réforme pécunière est la plus importante ».

Le chef d’établissement explique ensuite comment la main invisible opère, en prenant l’exemple des leçons « publiques » ou « ouvertes » [gongkaike]. Une leçon publique est une leçon conduite par un enseignant qui est observé et critiqué par les autres. Les « autres » peuvent être des enseignants du même établissement, des enseignants d’autres établissements, des experts de l’éducation, des parents et des membres du public. Cela peut être proposé à l’échelle de l’établissement, du district ou de la municipalité, et c’est une exigence pour le développement professionnel et l’évaluation des enseignants à Shanghai. Ces leçons requièrent beaucoup de préparation et peuvent être stressantes pour les enseignants.

Le chef d’établissement : « pour les leçons publiques, nous avons déjà créé une culture structurante. Donc si vous ne voulez pas conduire une leçon publique, une main invisible vous dirige pour que vous le fassiez. Sinon, vous ne pouvez pas être promu au prochain grade et votre score à l’évaluation au milieu de l’année ne sera pas très élevé ». « Un établissement de première classe dépend aussi d’une classe de même niveau. Et d’après moi, la salle de classe doit viser cette direction dans la réforme. Elle doit être adaptée aux développements cognitifs des élèves, aux demandes de développement de la société, et ne doit pas échouer dans la pratique. Notre curriculum d’établissement répond à l’esprit de la seconde phase des réformes des contenus d’enseignement, et aussi des exigences de notre établissement en termes de caractéristiques spécifiques. ».

Le chef d’établissement explique alors comment il a développé des cours de recherche et des approches d’enseignement innovantes centré sur l’apprentissage des élèves, qui comprennent l’apprentissage expérientiel, des discussions de groupe, des présentations orales, et qui respectent les contenus scolaires prescrits par les autorités officielles. Il explique ensuite comment il cherche à développer l’horizon international de l’établissement pour les élèves et les enseignants, une caractéristique majeure des chefs d’établissement à Shanghai.

« Nous avons besoin de renforcer nos liens avec des établissements scolaires à Taiwan, aux Etats-Unis, à Singapour, de façon à cultiver nos élèves qui peuvent vraiment servir le monde dans le domaine international. Donc, pendant ces vacances scolaires-ci, nous avons 3 enseignants qui vont à l’étranger pour 2 mois. Deux enseignants d’anglais et un enseignant de chinois. Le professeur de chinois va à Taiwan. Taiwan, selon moi, a transmis la culture chinoise traditionnelle de façon plus complète qu’en Chine. Un des professeurs d’anglais va aux Etats-Unis, l’autre au Royaume-Uni. Quand ils reviendront, ils dirigeront un grand groupe d’autres enseignants »

Charlene Tan : « C’est très bien ! D’où avez-vous eu cette idée d’un curriculum à l’échelle de l’établissement ? »

Le chef d’établissement : « J’ai un enseignant qui a un Master. Quand je l’ai recruté en 2005, je lui ai dit que je voulais lire sa thèse. Je l’ai trouvée très bonne et depuis, j’ai aussi consulté d’autres livres. Donc, l’enseignant et moi, nous avons construit le cadre théorique pour le curriculum d’établissement. J’ai ensuite dirigé les enseignants pour le mettre en œuvre dans l’établissement ».

Il est commun et souvent attendu des chefs d’établissement comme des enseignants à Shanghai qu’ils soient actifs dans la lecture, la recherche, l’écriture et la publication. En fait, c’est une partie de l’évaluation continue et de la promotion professionnelle. Le chef d’établissement ici est très actif dans l’observation des leçons dispensées par les enseignants.

Le chef d’établissement : « J’observe des leçons chaque trimestre. En moyenne, j’assiste à 4 leçons par trimestre. Je choisis les leçons observées de manière aléatoire. Je dis juste « Petit He » (le nom de l’enseignant) j’observe votre classe demain ». Après cela, nous avons une discussion informelle sur les problèmes qui sont apparus. Cela devient une partie de notre culture. Je l’appelle « ouvrir la porte de la classe pour créer un apprentissage ensemble comme un seul corps » [dakai jiaoshi damen, gongchuang xuexi gongtongti]

Charlene Tan : « comment vont les résultats ? »

Le chef d’établissement : « Nous obtenons certains résultats. Dernièrement, en 2009, j’ai obtenu un prix pour l’enseignement dans mon établissement et la recherche de performance au niveau du district. Au total, nous avons 17 enseignants qui ont remporté des prix l’année dernière. Parmi eux, j’ai deux enseignants qui ont obtenu le premier prix dans les olympiades de l’enseignement au niveau national. L’un est professeur d’éducation morale, l’autre de chinois. Pensez à ceci : il y a 1,3 milliards de chinois, et nous avons 2 enseignants qui sont sur le podium national pour le premier prix ! » « Nos résultats ont examen ont aussi grimpé ». Notre établissement a maintenant une plus grande influence dans la communauté. En termes de taux d’entrée pour un cours de quatre ans à l’université, nous étions en dessous 70% en 2006 mais c’est plus de 80% maintenant. Beaucoup d’élèves veulent être admis dans notre établissement. Ce dernier est maintenant classé sixième ou septième dans le district ».

Charlene Tan : « comment arrive-t-on à mettre en œuvre toutes ces réformes tout en faisant en sorte que les élèves obtiennent les meilleurs résultats aux examens ? «

Le chef d’établissement : « pour être honnête, les élèves chinois ont une charge de travail très lourde, si bien que nous ne pouvions au début avoir des cours étendus et de recherche seulement pour les élèves au premier trimestre. Je ne pouvais pas le faire pour le second trimestre parce que les étudiants avaient à s’occuper de leurs examens. Nous n’avons pas ces cours pour les élèves de 3e année parce qu’ils ont le gaokao (examen sélectif d’entrée à l’université) et qu’avec les examens qui arrivent ils seraient fatigués à mort ! »

Charlene Tan : « et la suite ? »

Le chef d’établissement : « Qu’en sera-t-il demain ? La première chose à faire était d’accroître la qualité professionnelle des enseignants. Deuxièmement, nous avons besoin d’améliorer le système d’éducation, par exemple en donnant plus de financements et de soutien technique aux enseignants, mais aussi plus de plateformes où ils pourront présenter leurs talents. Bien que nous ayons gagné des prix, je pense que la réforme scolaire est encore insuffisante. C’est n’est pas une question de prix, mais de réformes de l’éducation pour achever le caractère des élèves. Nous ne l’avons pas bien fait et nous devons encore persévérer ».

Source. Tan, C. (2012). Learning from Shanghai: Lessons on achieving educational success (Vol. 21). Springer Science & Business Media.

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