L’humilité dans la prise de décision nécessite une bonne dose de réflexion sur sa pratique et l’appui sur des approches incrémentales lentes et minimalistes. Dans un monde complexe et imprévisible, ces approches peuvent être plus efficaces que les approches à la Rambo qui combinent décision rapide et leadership directif.
Les dirigeants modestes dans leur prise de décisions n’ont pas peur des essais et erreurs, à condition que ces dernières soient centrées sur des objectifs et pas complètement aléatoires (voir, par exemple, Etzioni 1989). Ils savent quand ils peuvent commencer à chercher une solution efficace. Ils vérifient les commentaires qu'ils obtiennent en retour à intervalles réguliers et ils ajustent ou modifient leurs cours d'action en conséquence, parce qu’ils réalisent que les premières décisions prennent du temps et changent toutes les conditions pertinentes et décisions antérieures qui ne peuvent plus dès lors s’appliquer. Ils évitent de s'engager trop tôt dans un plan d'action, préférant plutôt le réviser en cours de route. Inutile de dire qu'ils sont sceptiques quant aux cadres de planification stratégique qui sont trop larges dans leur portée et trop spécifiques dans leurs contenus.
Etzioni (1989) souligne que cette approche modeste correspond à la logique de prise de décision en médecine. Les médecins ont rarement un intérêt personnel dans leurs décisions de traitement des patients. Ils ont cependant un intérêt personnel dans la recherche de solutions. Ainsi, ils sont déterminés à changer les traitements si de nouvelles preuves le justifient. Il n'y a rien de Rambo là-dedans et demeurer cohérent juste pour des raisons de cohérence interne serait considéré comme une grave erreur de jugement.
Etzioni formule deux autres caractéristiques de la prise de décision modeste qui peut bien servir les chefs d’établissement– la procrastination raisonnée et la décision minutieuse mais étalonnée. Les deux contestent l'image du dirigeant décideur qui maintient le cours de son action, et qui valorise sa propre cohérence avant tout. Les deux principes confirment la sagesse populaire implicite que l’on trouve dans le truisme "Ne jamais prendre une décision le vendredi."
La procrastination permet la collecte de meilleures informations quand de nouvelles options émergent. Et elle permet aussi aux problèmes de se résoudre par eux-mêmes.
La décision étalonnée, en formulant la prise de décision par petites étapes plutôt que de s'en sortir par des opérations commando, permet de suivre les progrès et d'apporter des ajustements à mesure que le processus décisionnel se modifie. Étant donné que ces stratégies nécessitent de fortes doses de réflexion, elles bénéficient de l'élargissement du cercle de prise de décision en incluant d'autres individus. Un cercle plus large permet d'obtenir plus d'idées et favorise l’engagement dans la prise décision plutôt que de se battre pour que les individus s’engagent par la suite. La procrastination et la prise de décision étalonnée augmentent la qualité de ce qui est décidé et la probabilité que les décisions soient mises en œuvre avec enthousiasme.
Extraits de Sergiovanni, T. (2005). Leadership: What's in it for Schools?. Routledge.